Notes de lecture du livre de Naomi Klein : Tout peut changer. Capitalisme & changement climatique. Actes Sud, 2015.
Je n'ai pas l'ambition de fournir un résumé un tant soit peu fidèle de cette œuvre imposante de près 900 pages. Mais elle m'a suffisamment marqué pour espérer partager ce qui, justement, m'a touché, ce que j'y ai appris et comment elle a fait évoluer ma perception. Il est question de changement climatique et de la nécessité d'agir vite pour en limiter l'ampleur, mis en contraste avec tous les efforts déployés par les tenants de l'ordre établi, multinationales exploitant les ressources naturelles en tête, pour empêcher toute remise en cause du statu quo.
Avant d'aller plus loin, la perspective historique est intéressante à considérer. La version originale a paru en anglais en 2014, il y a presque dix ans. Elle livre le fruit d'un travail de recherche de cinq ans. Et déjà, l'autrice dressait un constat alarmant sur les forces qui déstabilisent nos environnements, et insistait sur l'horizon de temps très court qu'il reste à l'humanité pour infléchir sa trajectoire et éviter des bouleversements désastreux. Cet horizon de temps, elle le plaçait à la fin de la décennie d'alors. C'est-à-dire 2020, il y a trois ans. Il ne me semble pas que la situation se soit amélioré drastiquement depuis : je me demande ce qu'elle dirait aujourd'hui.
Mais déjà dix ans en arrière, elle proposait une lecture intéressante du climatoscepticisme. À vrai dire, je me suis toujours demandé comment on pouvait l'être honnêtement, climatosceptique. Et surtout l'être au point de le revendiquer publiquement. Pour Naomi Klein, ce serait justement une compréhension assez juste des ajustements fondamentaux qu'il faudrait mettre en œuvre pour réduire l'ampleur des catastrophes à venir qui pourrait faire naître un climatosceptique, que ce soit pour défendre ses intérêts économiques, ou même une vision du monde basée sur une certaine acception de la liberté de chacun, qui s'effondrerait dans le changement. On quitterait le cadre d'une conversation rationnelle pour celui d'un conflit d'intérêts, d'une manière identique aux lobbies qui œuvrent sur d'autres sujets.
La proposition est rendue d'autant plus crédible que l'autrice met en perspective les échecs répétés de négociations climatiques à s'aligner sur des mesures contraignantes avec le succès toujours renouvelé des accords commerciaux multilatéraux entre pays. Pour moi qui m'en étais toujours tenu à l'idée qu'aligner tant d'acteurs aux situations très différentes, tant culturelles qu'économiques, était nécessairement difficile, le contraste invite à regarder les choses autrement. D'autant que Naomi Klein illustre très bien la façon dont lesdits accords commerciaux servent de levier pour mettre en échec des initiatives vertueuses, par exemple, de production relocalisée et planifiée d'énergie renouvelable. La fameuse main invisible du marché ne serait que le paravent derrière lequel économies dominantes et multinationales camoufleraient leur course aux profits au détriment d'à peu près n'importe quoi d'autre.
Au-delà de cette influence, l'autrice met au jour un autre manœuvre, plus pernicieuse, destinée à préserver l'ordre établi. Elle montre comment des actions d'apparence vertueuse, exhibés comme preuve de bonne volonté par des multinationales pollueuses, cachent souvent une réalité plus nuancée, voire carrément à l'opposé. Par exemple, ll est question d'organisations environnementalistes qui font le pari de travailler avec ces entreprises pour parvenir à de meilleures solutions que celles que donnerait l'opposition frontale. Mais derrière la version officielle se cachent souvent des rapports d'argent. Ou alors on aboutit à des situations absurdes où une organisation de protection de l'environnement exploite des puits de pétrole dans des zones protégées. Une sorte d'opération de blanchiment vert, de laquelle Noami Klein rapproche les initiatives hautement médiatisées de plusieurs milliardaires qui ont fait mine de s'intéresser au dérèglement climatique. Elle montre la façon dont la plupart ne s'est soldé que par un coup de publicité sans réel impact vertueux.
Et ce, d'autant plus que la plupart des investissements consentis par ces particuliers fortunés s'est focalisée sur la recherche de remèdes miracles, tels que des carburants non polluants, qui permettraient de résoudre le problème de la pollution sans rien changer à ses causes. C'est, au fond, tout ce qu'il semble y avoir à attendre des contributions des tenants de l'ordre établi : l'espoir d'un miracle qui permettrait de ne rien changer.
C'est un tableau plutôt sombre que Naomi Klein dresse de la situation, même s'il ne semble pas vraiment exagéré. Néanmoins, elle tâche d'y adjoindre des motifs d'espoir, d'initiatives qui connaissent un certain succès pour infléchir la tendance. Il est question des opérations de blocage menées par des groupes d'habitants contre des chantiers dangereux et polluants prévus près de chez eux. En Grèce, au Royaume-Uni, en Amérique du Nord, les exemples sont plus nombreux que je ne l'aurais pensé. Pour l'autrice, un changement de cap marqué de nos sociétés ne peut venir que de la pression populaire, d'une réappropriation politique. Son espoir, elle le fonde dans l'attachement que chacun ressent pour certains lieux, qui lui donnera l'élan pour les protéger et revenir à des valeurs plus essentielles que la prospérité économique : la vie et sa préservation.
L'ouvrage est immensément plus riche que ce qui précède le laisse apercevoir. Les multiples exemples et leurs références permettent de s'imprégner de chacun des points abordés. Malgré son épaisseur, le ton y est vivant : il est facile à lire, avec un peu de patience. Peut-être mon seul regret est la présentation des énergies renouvelables, solaire et éolienne, comme un remède à l'extraction de ressources fossiles qui polluent l'atmosphère, mais qui fait l'impasse sur l'importante activité minière qu'elles impliquent pour la fabrication des appareils. Une autre forme d'extractivisme qui n'est pas moins problématique. Mais tout le reste vaut largement la lecture.